Secrets d’assemblages : les cépages incontournables des grands vins rouges de Bordeaux

6 juin 2025

L’art de l’assemblage : le cœur du style bordelais

Le vignoble bordelais est souvent considéré comme le berceau de l’assemblage moderne. Ici, très rares sont les vins issus d’un seul cépage. Cette tradition d’assemblage, qui consiste à marier différentes variétés de raisins pour créer des vins harmonieux et complexes, s’est imposée dès le XVIII siècle, notamment pour faire face aux années difficiles et s’adapter à la diversité des terroirs (source : C.I.V.B. – Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux).

À Bordeaux, l’assemblage n’est pas seulement un héritage, c’est l’âme du vin. Il permet aux propriétés d’ajuster leurs cuvées chaque année, en fonction du climat, des rendements et de la qualité des raisins, pour offrir finesse, structure et capacité de garde. Mais de quels cépages parle-t-on vraiment chez les rouges bordelais ?

Panorama des cépages rouges de Bordeaux

Six cépages sont autorisés dans la production des vins rouges de Bordeaux, mais trois d’entre eux règnent en maîtres sur le vignoble :

  • Merlot
  • Cabernet Sauvignon
  • Cabernet Franc
  • Petit Verdot
  • Malbec (aussi appelé Côt)
  • Carménère

La législation (Cahier des Charges des AOC Bordeaux – INAO) exige ces variétés, jouant chacune un rôle spécifique dans l’assemblage.

Répartition des surfaces plantées

  • Merlot : environ 66 % de la surface totale (source : C.I.V.B., 2023)
  • Cabernet Sauvignon : environ 22 %
  • Cabernet Franc : environ 9 %
  • Petit Verdot, Malbec, Carménère : < 3 % cumulés

Cette répartition a connu des évolutions marquantes : le Merlot a particulièrement progressé dans les années 1980-2000 grâce à sa précocité et à son adaptation aux sols argileux et au climat océanique bordelais.

Zoom sur les cépages les plus fréquemment assemblés

Merlot : la rondeur et la souplesse

Originaire du Libournais, le Merlot s’est imposé comme le cépage majoritaire à Bordeaux. Sa précocité en fait un atout dans les années fraîches ou humides, permettant de garantir des récoltes régulières et de limiter les risques liés au mildiou (source : Vitisphere). Il offre :

  • Des arômes de fruits noirs mûrs (prune, cerise, mûre)
  • Une texture souple, des tanins caressants
  • Un profil accessible dès la jeunesse, mais aussi de la profondeur pour la garde

Il domine nettement sur la rive droite de Bordeaux (Saint-Émilion, Pomerol), avec des assemblages atteignant souvent 70 à 100 % de Merlot pour certains crus, comme le Château Pétrus.

Cabernet Sauvignon : la structure et la longévité

Reconnaissable à sa couleur profonde et à ses tanins fermes, le Cabernet Sauvignon est roi sur les graves de la rive gauche (Médoc, Pauillac, Margaux). Ce cépage tardif aime les sols chauds et drainants. Il apporte :

  • Des notes de cassis, poivron vert, cèdre, réglisse
  • Puissance tannique, structure et aptitude au vieillissement
  • Robustesse dans les années chaudes

Dans certains grands crus classés médocains (Château Latour, Château Lafite Rothschild), il peut dépasser 75 % de l’assemblage.

Cabernet Franc : la finesse aromatique

Plus discret, le Cabernet Franc joue le rôle d’“épice” subtile : il est surtout présent sur la rive droite et l’Entre-deux-Mers. Il tolère mieux les sols frais et argilo-calcaires. Il transmet :

  • De la fraîcheur, des notes florales (violette) et épicées
  • Des tanins fins
  • Un potentiel de garde intéressant quand il est bien mûr

Des propriétés comme le Château Cheval Blanc (Saint-Émilion) construisent leur identité sur un assemblage quasiment équilibré entre Merlot et Cabernet Franc.

L'apport des cépages accessoires

  • Petit Verdot : Amène une structure supplémentaire, des arômes de violette, poivre, et une couleur intense. Utilisé en petites proportions (5 % maximum en général), il se révèle capital dans certains millésimes solaires ou pour relever les assemblages du Médoc.
  • Malbec : Historiquement important (il dominait au XIX siècle), le Malbec a décliné après le gel de 1956. Il subsiste à petites doses, surtout pour la couleur et des notes épicées. Il est rare aujourd’hui de croiser un vin de Bordeaux avec plus de 3 % de Malbec dans l’assemblage.
  • Carménère : Très marginal (moins de 0,1 % des surfaces), le Carménère apporte une touche aromatique singulière (poivron, épices). Ce cépage renaît timidement, porté par quelques vignerons passionnés.

Les assemblages mythiques selon les appellations

L’équilibre de chaque vin rouge bordelais tient précisément à la sélection et à la proportion de ces cépages. Voici comment ils s’expriment dans les principales régions :

  • Médoc, Pauillac, Saint-Julien, Margaux :
    • Assemblage typique : 60-70 % Cabernet Sauvignon, 20-35 % Merlot, 5-10 % Petit Verdot/Cabernet Franc/Malbec
    • Exemple : Château Latour (2018) : 91 % Cabernet Sauvignon, 9 % Merlot (source : fiche technique officielle)
  • Saint-Émilion, Pomerol :
    • Assemblage typique : 60-90 % Merlot, 10-40 % Cabernet Franc, parfois une touche de Cabernet Sauvignon ou de Malbec
    • Exemple : Château Cheval Blanc : 52 % Cabernet Franc, 43 % Merlot, 5 % Cabernet Sauvignon (millésime 2022)
  • Graves, Pessac-Léognan :
    • Assemblage variable : entre 40-45 % Cabernet Sauvignon, 40-50 % Merlot, 5-10 % Cabernet Franc/Petit Verdot/Malbec
    • Exemple : Château Haut-Brion (2020) : 42,8 % Merlot, 39,7 % Cabernet Sauvignon, 18 % Cabernet Franc

Anecdotes et chiffres à retenir

  • Le Bordeaux rouge moyen commercialisé contient en 2022 : 60 % Merlot, 30 % Cabernet Sauvignon, 7 % Cabernet Franc, le reste pour les autres cépages (source : CIVB, bilan annuel).
  • Seulement 3,6 % des exploitations vinifient un mono-cépage rouge (Merlot), preuve de l’attachement à la tradition de l’assemblage (source : Agreste, 2020).
  • La diversité climatique du Bordelais explique ces équilibres : gel, pluies printanières, hétérogénéité des terroirs justifient la sécurité agronomique de planter plusieurs cépages.
  • Des châteaux tests explorent aujourd’hui de nouveaux équilibres face au réchauffement climatique : inclusion progressive d’autres variétés comme le Touriga Nacional ou le Marselan, mais ces essais restent marginaux sous l’appellation Bordeaux (INRAE, 2022).

Le choix des cépages rouges : alliance de terroir, de climat, et de savoir-faire

La personnalité d’un grand vin rouge de Bordeaux repose sur la justesse de l’assemblage : plus qu’un code historique, c’est l’expression du terroir, du vigneron et du millésime. Les cépages utilisés, et surtout leur proportion, sont le fruit d’une année de dialogue entre la vigne, le chai et la main de l’homme.

À travers l’évolution des goûts et des défis climatiques contemporains, Bordeaux ne cesse d’innover sans renier son héritage. De la générosité du Merlot à la noblesse du Cabernet Sauvignon, de la finesse du Cabernet Franc à la personnalité des cépages complémentaires, chaque bouteille est la signature vivante de cet équilibre subtil : un vin qui porte l’histoire, l’identité et la créativité de son terroir.

Ressources complémentaires :

  • Cépages bordelais – Bordeaux.com
  • CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux), bilan de filière 2023
  • Fiches techniques des châteaux (Latour, Cheval Blanc, Haut-Brion)
  • Agreste – La statistique agricole annuelle, répartition des surfaces AOC Bordeaux 2020

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